AMÉLIORER LA RACE ?
Les biotechnologies vont permettre à la médecine de faire des progrès encore inimaginables il y a quelques décennies. Mais, avec la manipulation du vivant, ne vont-elles pas conduire à des dérives transhumanistes ?
Leader de la santé, Alphabet avait développé une offre très complète en matière d’analyse prédictive de l’embryon. En 2050, mettre un enfant au monde ne se faisait plus du tout au hasard. Le DPI (Diagnostic Pré Implantatoire) présentait l’immense avantage de permettre de déceler les éventuelles anomalies avant implantation dans l’utérus et donc d’éliminer les embryons susceptibles de développer des pathologies pour ne conserver que ceux réputés sains, cette dernière notion évoluant rapidement avec les progrès de la biologie.
Evoquant la nécessité de contrôler les budgets de santé, la plupart des pays n’avaient pas manqué d’utiliser cette nouvelle technique pour instaurer des mesures eugéniques qui ne portaient pas leur nom. On parlait plutôt de « mesures de santé publique ». En France, très peu de tests génétiques étaient obligatoires, mais ils étaient fortement recommandés, surtout pour les couples porteurs de mutations susceptibles d’être transmises à l’enfant. Qui aurait pu s’en plaindre ?
Toujours en France, dans la plupart des cas, les parents étaient en droit de refuser de pratiquer un DPI, mais, à partir de 2040, l’enfant à naître n’était plus pris en charge par les organismes sociaux s’il venait à être porteur de mutations non désirées qui auraient pu être décelées. Autant dire que, pour les couples présentant des risques, le DPI devenait incontournable.
Dans d’autres autres pays, la loi était plus stricte, il n’était pas question de mettre au monde un enfant présentant des mutations génétiques invalidantes. Le droit de procréer était soumis aux résultats d’un DPI et d’une analyse génétique complète.
Mais sélectionner n’était pas suffisant, encore une fois, la technologie permettrait d’aller plus loin.
En 2012, la technique CRISPR-Cas9[1] faisait faire un formidable bond à la biologie moderne. Avec CRISPR, on identifiait sur l’ADN une séquence spécifique de gènes, par exemple porteuse d’une mutation génétique grave, avec Cas9, on la découpait. Remplacer un gène défectueux devenait possible, tous les espoirs étaient permis.
Vers le milieu du siècle, cette technologie avait considérablement progressé et permettait pratiquement toutes les manipulations possibles. La médecine y gagnait beaucoup, mais très vite, prônant l’amélioration de l’embryon, les différentes organisations transhumanistes s’étaient emparées du sujet, débordant d’une pression insoutenable les comités d’éthiques, enfonçant une à une les fragiles barrières[2] législatives, ouvrant la porte à toutes les transgressions et au développement des premiers laboratoires auprès desquels il devenait possible de fabriquer un embryon sur mesure, de le faire modifier ou corriger sur des critères précisés au moment de ce qu’il convenait d’appeler « la commande ».
Il ne s’agissait plus de soigner mais d’améliorer[3], d’augmenter, de créer une nouvelle race[4].
Aux Etats-Unis, les transhumanistes avaient habilement détourné le droit au bonheur inscrit dans la Déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776, laissant se développer toutes les transgressions possibles en matière d’eugénisme ou d’augmentation de l’individu.
« …. Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur…. »[5]
Certains conservateurs avaient bien tenté de souligner que la modification de l’ADN, et donc la manipulation de la vie, ne faisait pas partie des droits inaliénables de l’homme, mais les progressistes soutenaient que, si le Créateur avait permis à l’homme de découvrir la façon de modifier l’ADN, c’était certainement pour qu’il puisse s’améliorer, poursuivre sa quête du bonheur. Après tout, avoir un enfant parfait n’était-ce pas le summum du bonheur ?
Un immense marché s’ouvrait, celui de la manipulation du vivant et de toutes les dérives eugénistes possibles.

[1] Voir « Eté – 9 – Biotechnologies et NBIC». En simplifiant à l’extrême, il s’agit d’outils biologiques. CRISPR est une molécule d’ARN qui permet de cibler une séquence d’ADN spécifique. Cas9 est une enzyme.
[2] La conférence d’Oviedo (voir annexe) a rassemblé de nombreux pays autour d’une même éthique. Lors de sa dernière réunion, le Conseil de l’Europe a renforcé ses recommandations, visant plus particulièrement l’utilisation des techniques CRISPR-Cas9. Nul ne sait cependant si, avec le temps, certains pays ne se laisseront pas aller à de graves dérives.
[3] Voir le documentaire « Bébés sur mesure », Arte Boutique. Une équipe chinoise a récemment utilisé la technique CRISPR pour modifier – à titre expérimental – des embryons humains.
[4] Les modifications effectuées sur un embryon affectent les cellules germinales* (spermatozoïdes ou ovules) et sont donc transmissibles à la descendance.
[5] Déclaration d’Indépendance Américaine du 4 Juillet 1776. “We hold these Truths to be self-evident, that all Men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness.”